Qui gouverne lâAlgĂ©rie? Partie 1: Les manĆuvres du GĂ©nĂ©ral Bouazza Ouassini et dâautres « hommes forts » du rĂ©gime
Par Jeremy Keenan [i]
[Traduction par Zoé Léa Lemu]
Le 10 DĂ©cembre 2019
LâAlgĂ©rie a prĂ©vu de tenir des Ă©lections prĂ©sidentielles le 12 DĂ©cembre prochain. Le ton hĂ©sitant de la phrase prĂ©cĂ©dente tient au fait que ces Ă©lections peuvent potentiellement ĂȘtre annulĂ©es, comme le furent les deux derniĂšres Ă©lections organisĂ©es par le rĂ©gime plus tĂŽt cette annĂ©e[ii]. Cependant, Ă seulement quelques jours du scrutin, malgrĂ© les millions de citoyens affluant dans les rues des plus grandes villes du pays pour manifester contre les Ă©lections imposĂ©es par le rĂ©gime, une annulation de derniĂšre minute est fortement improbable[iii]. En plus des manifestations hebdomadaires du vendredi, juste aprĂšs les priĂšres du midi, le corps Ă©tudiant organise ses propres marches anti-rĂ©gime tous les mardis. Depuis le dĂ©but de la campagne prĂ©sidentielle, le 17 Novembre dernier, les citoyens ont accru leur pression sur le rĂ©gime en manifestant Ă©galement la nuit dans les villes ou les candidats ont essayĂ© dâorganiser un meeting prĂ©sidentiel. Cette extraordinaire protestation populaire entrant dans son 10e mois est connue sous le nom arabe de hirak[iv].
Le hirak rĂ©clame une nouvelle rĂ©publique dĂ©mocratique : une « deuxiĂšme rĂ©volution », comme lâappelle le peuple algĂ©rien. La premiĂšre rĂ©volution a vu le dĂ©part des colons français aprĂšs la Guerre de LibĂ©ration (1954-62); la deuxiĂšme rĂ©volution, qui nâa pas encore eu lieu mais qui est peut-ĂȘtre en route, ambitionne de supprimer une dictature militaire corrompue et rĂ©pressive, qui, tout en privant le pays de ses richesses, a rĂ©primĂ© au fil des ans les 43 millions dâAlgĂ©riens. Le peuple algĂ©rien est jeune. 50% de la population a moins de 30 ans. Sous ce rĂ©gime autoritaire, les perspectives pour les jeunes sont obstruĂ©es par un taux du chĂŽmage croissant, la rĂ©pression et le dĂ©sespoir. Câest donc sans surprise que beaucoup dâentre eux sont prĂȘts Ă quitter le pays, par tous les moyens possibles.
LâAlgĂ©rie est un Ătat rentier : ses revenus sont principalement issus des ventes dâhydrocarbures (gaz et pĂ©trole). Sur le trillion de dollars de revenus produit par lâexportation dâhydrocarbures ces 20 derniĂšres annĂ©es, entre la fin de la guerre civile des annĂ©es 90[v] et le dĂ©but du mandat dâAbdelaziz Bouteflika en 1999[vi], quelques 300 milliards de dollars se sont volatilisĂ©s[vii]. Ici, nous pouvons prendre la mesure de la corruption du rĂ©gime algĂ©rien. Cet argent, volĂ© par le rĂ©gime (câest-Ă -dire les Ă©lites politiques, militaires et affairistes) est dissimulĂ© dans des propriĂ©tĂ©s immobiliĂšres et sur des comptes bancaires aux Ămirats Arabes Unis (EAU), en France, en Suisse et autres paradis fiscaux. Les statistiques montrent que 90% de ces Ă©lites (ministres, gĂ©nĂ©raux et hauts fonctionnaires) quittent le pays pour leur retraite, mais seulement aprĂšs avoir perçu leur part de richesses du pays et lâavoir siphonnĂ©e Ă lâĂ©tranger. Pendant les cinq derniĂšres annĂ©es du mandat dâAbdelaziz Bouteflika (Avril 1999 â Avril 2019), lâampleur de cette corruption a atteint un tel niveau que lâAlgĂ©rie avait gagnĂ© le surnom dâ « Ătat-mafia »[viii], et, comme la grande majoritĂ© des Ătat mafieux, Ă©tait impliquĂ© dans le commerce mondial de la drogue.
Si le bulletin de vote est maintenu le 12 DĂ©cembre prochain (ce qui est presque inĂ©vitable Ă prĂ©sent) le vainqueur sera lâun des cinq candidats approuvĂ©s par le rĂ©gime : deux anciens Premiers ministres, deux anciens ministres et un ancien haut fonctionnaire du Front de LibĂ©ration National (FLN), ancien parti unique. Aucun candidat reprĂ©sentant « le peuple ». Dans quelques rĂ©gions du pays, notamment en Kabylie, il y aura un vote nul ; le mĂ©pris pour le rĂ©gime est bien trop grand. Ă travers le pays, le taux de participation ne devrait pas dĂ©passer les 10%. Le pourcentage donnĂ© par le rĂ©gime sera sans doute revu par les autoritĂ©s, et avoisinera les 30-40%. Tout pourcentage supĂ©rieur Ă cela ne serait pas crĂ©dible. Pour les derniĂšres demi-douzaines dâĂ©lections, les autoritĂ©s ont eu tendance Ă tripler le taux rĂ©el de participation. Câest-Ă -dire, un pourcentage officiel de 45% indiquerait une participation rĂ©elle situable autour de 15%.
Le gagnant de ces Ă©lections ne sera pas choisi par les urnes Ă moitiĂ© vides, mais par le haut commandement militaire algĂ©rien. Câest le cas depuis lâindĂ©pendance du pays : Ahmed Ben Bella (1963-1965), Houari Boumediene (1965-1978), Rabah Bitat (1978-1979) Chadli Bendjedid (1979-1992), Mohamed Boudiaf (1992), Ali Kafi (1992-1994), Liamine Zeroual (1994-99) et Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) ont tous Ă©tĂ© imposĂ©s par lâarmĂ©e.
Les Ă©lections algĂ©riennes ne devraient pas ĂȘtre comparĂ©es aux Ă©lections qui se dĂ©roulent dans les dĂ©mocraties. LâAlgĂ©rie nâest pas une dĂ©mocratie. Vouloir comparer ses Ă©lections Ă une procĂ©dure dĂ©mocratique occidentale dĂ©montrerait une mĂ©connaissance du rĂŽle du procĂ©dĂ© Ă©lectoral, en rĂ©alitĂ© une mascarade, qui perpĂ©tue la gouvernance de ceux qui contrĂŽlent lâĂtat algĂ©rien. Comme Hugh Roberts le dit si bien : What Algerian officialdom calls presidential elections are not elections at all. There is no question of the âcandidate of consensusâ failing to win and no possibility of the other people allowed to pose as candidates getting anywhere near his tally of votes.â (« Ce que lâadministration algĂ©rienne appelle des Ă©lections nâest pas du tout des Ă©lections. Il nâest pas question que le Êșcandidat du consensusÊș ne parvienne pas Ă la victoire ; et les autres candidats âposantâ pour les Ă©lections nâont aucune chance de les remporter. ») (Roberts, 2019). Il continue en affirmant que « lâĂ©lection rĂ©elle est prĂ©dĂ©terminĂ©e, bien avant le jour du scrutin, par le haut commandement de lâArmĂ©e Nationale Populaire (ANP) source du pouvoir politique. La dĂ©cision est ensuite tacitement proclamĂ©e pas le prĂ©sident Ă©lu lui-mĂȘme, annonçant sa « candidature », soutenue par le FLN (parti contrĂŽlĂ© par lâĂtat) et le Rassemblement National DĂ©mocratique (RND), et le tour est joué ».
Câest prĂ©cisĂ©ment parce que les Ă©lections sont un « tour », pour utiliser les mots dâHugh Roberts, que le hirak nâest pas prĂȘt Ă accepter la derniĂšre tactique Ă©lectorale en date de lâarmĂ©e. Par le passĂ© (et il nâest pas vraiment clair quand le passĂ© est devenu prĂ©sent dans ce contexte), la fonction de lâĂ©lection, comme lâexplique Roberts, Ă©tait dâhonorer la dĂ©cision prĂ©alablement prise Ă huis-clos. La fiction de la « campagne Ă©lectorale », comme lâexplique Roberts, est de « stimuler les rĂ©flexes politiques du peuple, de les motiver Ă voter, et en votant, ÊșadhĂ©rerÊș Ă la dĂ©cision de lâarmĂ©e et de rĂ©itĂ©rer leur allĂ©geance Ă lâĂtat et aux hommes qui le contrĂŽlent ». (Ibid)
Roberts affirme que « ce systĂšme a Ă©tĂ© acceptĂ© par lâopinion publique par le passĂ©, notamment en 1995, lorsque des millions de personnes ont volontairement votĂ© pour Liamine Zeroual, mais aussi en 2004 lorsque le deuxiĂšme mandat de Bouteflika a Ă©tĂ© fortement soutenu. » Cette derniĂšre affirmation est sujette Ă dĂ©bat. LâĂ©lection de Zeroual en plein milieu de la « dĂ©cennie noire » a peut-ĂȘtre suscitĂ© un engouement populaire de courte durĂ©e, mais lâĂ©lection de 1999, que Roberts ne mentionne pas, a constituĂ© une Ă©norme fraude. La fraude Ă©tait telle que les six autres candidats se retirĂšrent la veille de lâĂ©lection, laissant Bouteflika comme seul candidat, qui rĂ©colta 73.8% des votes. Quant aux Ă©lections de 2004, nous pouvons seulement affirmer que Bouteflika Ă©tait moins impopulaire quâil ne lâest devenu dans ses derniĂšres annĂ©es. MalgrĂ© cela, lâimplication du DĂ©partement du Renseignement et de la SĂ©curitĂ© (DRS) dans la manipulation de cette Ă©lection en faveur de Bouteflika Ă©tait claire.
En Mars 2019, Roberts Ă©crit que ce systĂšme vaguement acceptable « sâest maintenant effondrĂ©, laissant lâarmĂ©e dans lâembarras » (Ibid). Les implications de cette remarque sont liĂ©es Ă lâeffondrement du systĂšme avec le dĂ©but du hirak, un mois avant quâil nâĂ©crive cet article. Peu de personnes seraient en dĂ©saccord avec cela. Sâil doit y avoir une « deuxiĂšme rĂ©volution », la date du 22 FĂ©vrier 2019, jour de la premiĂšre marche du hirak, serait choisie. Bien que lâimportance du 22 FĂ©vrier ne soit pas remise en cause, nombre dâAlgĂ©riens ne seraient pas dâaccord avec Roberts, sur lâidĂ©e selon laquelle le systĂšme Ă©lectoral se serait effondrĂ© bien avant le hirak.
La littĂ©rature acadĂ©mique et les commentaires sur le systĂšme politique algĂ©rien en conviennent : le vrai pouvoir politique est exercĂ© par un conclave de gĂ©nĂ©raux dĂ©crit par Roberts. Cependant, bien que cette thĂ©orie soit facilement applicable aux annĂ©es 90, la notion de conclave militaire secrĂšte (qui suggĂšre lâunanimitĂ© au sein du haut commandement de lâarmĂ©e) est moins adaptĂ©e pour expliquer la dynamique des rapports de forces pendant lâĂšre bouteflikiste (Avril 1999-Avril 2019) et aujourdâhui.
Lâutilisation du concept de conclave pour la politique algĂ©rienne est directement reliĂ©e Ă la question : « qui gouverne lâAlgĂ©rie ? » Ce n’est pas une question Ă laquelle on rĂ©pond facilement, ou du moins briĂšvement. Stephen Cook (2007) par exemple parle de « conclave militaire » comme « lâorgane dĂ©cisionnaire suprĂȘme » en AlgĂ©rie. Lahouari Addi (2001), Ă©crivant sur le choix de Bouteflika par lâarmĂ©e pour la prĂ©sidentielle, parle du « conclave habituel des gĂ©nĂ©raux ». Isabelle Werenfels (2007) a introduit une comprĂ©hension plus dynamique des « principaux dĂ©cideurs » ou de « lâĂ©lite centrale » comme elle les appelle, en les qualifiant de « dĂ©cideurs ». Cette « élite centrale » ou « dĂ©cideurs » étaient « toujours des gĂ©nĂ©raux, sans exception ». En dĂ©crivant la situation de lâĂ©lection de Bouteflika en 1999, elle Ă©tablit la liste suivante : Mohamed Lamari, chef dâĂ©tat-major de lâANP depuis 1993 (voir annexe), Mohamed âToufikâ MĂ©diĂšne, chef du DRS depuis 1990 (voir annexe), SmaĂŻl (SmaĂŻn) Lamari, numĂ©ro deux du DRS (mort en 2007), Mohamed Touati, appelĂ© âEl Mokhâ (le cerveau), conseiller prĂ©sidentiel pour les questions de dĂ©fense, et porte-parole (non-officiel) des gĂ©nĂ©raux, et le gĂ©nĂ©ral Ă la retraite Larbi Belkheir (voir annexe). Principal dĂ©cideur sous couvert de la prĂ©sidence Bendjedid, Larbi Belkheir revient, en 2000, au poste puissant de directeur de cabinet du prĂ©sident, dĂ©cision considĂ©rĂ©e comme imposĂ©e Ă Bouteflika par lâarmĂ©e (Werenfels, 2007). Khaled Nezzar (voir annexe), potentiellement lâhomme le plus puissant du pays dans les annĂ©es 90, nâapparaissait plus comme appartenant Ă lâĂ©lite gouvernementale vers la fin du premier mandat de Bouteflika. (Ibid)
Un aperçu particuliĂšrement intĂ©ressant sur le fonctionnement du conclave de lâarmĂ©e et la relation entre le prĂ©sident et lâarmĂ©e fut donnĂ©e Ă lâĂ©poque par Addi (2001) : « It is worth pointing out that the usual âconclaveâ of generals did not meet in order to select Bouteflika as presidential candidate. Instead, General Mohamed Lamari, Chief of Staff of the Armed Forces, decided against such a meeting, leaving the Head of Military Security, General Tewfik MediĂšne, free to oversee the security operation known as ‘presidential election’, which was to replace the outgoing [President] Zeroual. Military Security was in charge of organizing the elections and ruled out any candidates who could not be controlled or were thought capable of winning the election and using their power against the Army and Military Security. However, for the elections to be credible, opposition candidates had to be encouraged to present themselves. A non-violent and loyal opposition, which, whilst not necessarily accepting the supremacy of the Army, did not wish to take over power itself, was essential to the regime. This loyal opposition would be rewarded by being allocated a few ministerial positions. » (« Cela vaut le coup de noter que le âconclaveâ habituel des gĂ©nĂ©raux ne sâest pas rĂ©uni pour choisir Bouteflika comme candidat prĂ©sidentiel. Au lieu de cela, le gĂ©nĂ©ral Mohamed Lamari, chef du Personnel et des Forces ArmĂ©es, se dĂ©cida contre cette rĂ©union, laissant le chef de la SĂ©curitĂ© Militaire, le gĂ©nĂ©ral Toufik MĂ©diĂšne, libre de superviser lâopĂ©ration de sĂ©curitĂ© connue sous le nom dâ ÊșĂ©lection prĂ©sidentielleÊș, qui visait Ă remplacer le prĂ©sident sortant Zeroual. La SĂ©curitĂ© Militaire Ă©tait responsable de lâorganisation des Ă©lections, et Ă©cartait tout candidat ne pouvant ĂȘtre considĂ©rĂ© comme capables de gagner les Ă©lections. Elle sâassurait Ă©galement que le candidat Ă©lu nâutiliserait pas ses nouveaux pouvoirs contre lâarmĂ©e et la SĂ©curitĂ© Militaire. Cependant, pour que les Ă©lections soient crĂ©dibles, des candidats dâopposition devaient ĂȘtre encouragĂ©s Ă se prĂ©senter. Une opposition non-violente et loyale, qui, mĂȘme si elle nâacceptait pas la suprĂ©matie de lâarmĂ©e, ne souhaitait pas renverser le pouvoir pour son propre compte, Ă©tait essentielle au rĂ©gime. Lâopposition loyale serait rĂ©compensĂ©e en appointant quelques postes ministĂ©riels. » )
De cette brĂšve description sur les diffĂ©rents rĂŽles tenus par les militaires, leurs conclaves et la prĂ©sidence au tournant de ce millĂ©naire, nous pouvons comprendre ce que le cĂ©lĂšbre historien algĂ©rien Mohamed Harbi (1975) voulait dire en Ă©crivant : « les Ătats ont des armĂ©es, mais lâarmĂ©e algĂ©rienne a un pays »[ix]. Cette citation cĂ©lĂšbre rĂ©sume prĂ©cisĂ©ment la situation que le hirak essaye de renverser aujourdâhui : il voudrait que lâAlgĂ©rie soit un Ătat civil et non un Ătat militaire.
Des hommes forts aux syndromes de lâhomme fort : le « Dieu de lâAlgĂ©rie »
La « thĂšse » de cet article est que le conclave comme systĂšme de gouvernance a exercĂ© une emprise pendant la guerre civile des annĂ©es 90. Etant conscients du nombre impressionnant de leurs crimes de guerre et crimes contre lâhumanitĂ©, les dĂ©cideurs algĂ©riens â Mohamed Lamari, MĂ©diĂšne, SmaĂŻn Lamari, Touati, Belkheir, Nezzar et autres â restĂšrent unis, telle une force invisible et sans visage, tenant la direction du pays. Ils se protĂ©geaient les uns les autres, rassemblĂ©s par leur complicitĂ© dans les crimes de guerre et la crainte de devoir en assumer les consĂ©quences, peut-ĂȘtre mĂȘme devant les tribunaux internationaux[x]. Cependant, Ă partir de la fin du premier mandat de Bouteflika en 2004, la situation commençait Ă changer.
Avant mĂȘme le dĂ©but du second mandat de Bouteflika, un certain nombre « dâhommes forts » furent Ă©cartĂ©s. Nezzar sâembourba dans des procĂšs en France et fut politiquement marginalisĂ©. Mohamed Lamari fut Ă©cartĂ© et trahi par MĂ©diĂšne en 2004 puis « mis au repos »[xi], Belkheir fut relĂ©guĂ© un poste dâambassadeur au Maroc, pendant que Touati dĂ©missionnait de toutes ses responsabilitĂ©s en Aout 2005, notamment de son poste de conseiller prĂ©sidentiel en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et conseiller au haut commandement de lâarmĂ©e. Du conclave initial listĂ© plus haut, seul MĂ©diĂšne et son numĂ©ro deux, SmaĂŻn Lamari (qui Ă©tait malade et sur le point de mourir en 2007), gardĂšrent leurs fonctions.
Donc, qui dĂ©tient Ă prĂ©sent le pouvoir? Depuis le dĂ©but de sa prĂ©sidence, Bouteflika avait clairement expliquĂ© ne pas vouloir ĂȘtre un prĂ©sident « trois-quarts » et quâil voulait une prĂ©sidence exĂ©cutive, avec lâarmĂ©e confinĂ©e (au moins politiquement) dans les casernes. Cependant, Ă partir de 2004-2005, Nezzar, Belkheir, Touati et Lamari Ă©tant « hors-circuit », nous voyons lâĂ©tablissement par MĂ©diĂšne dâun « Ătat dans lâEtat »[xii], qui accĂ©lĂ©ra sa concentration et son accumulation de pouvoirs au sein du DRS. Il convient de mentionner quâĂ ce moment-lĂ , MĂ©diĂšne Ă©tait dĂ©jĂ Ă la tĂȘte du DRS depuis 14 ans  (depuis 1990) et avait un don pour Ă©carter ses adversaires â et nâimporte qui dâautre â du pouvoir. Non seulement il avait rĂ©ussi Ă Ă©carter des hommes puissants placĂ©s plus haut que lui dans la hiĂ©rarchie politico-militaire, comme le gĂ©nĂ©ral Mohamed Betchine (son ancien supĂ©rieur aux services de renseignement), le prĂ©sident Zeroual et chef de lâarmĂ©e Mohamed Lamari, mais il Ă©tait aussi connu que sa conduite pendant la guerre des annĂ©es 90 fut impitoyable. Il se dĂ©signait dĂ©jĂ lui-mĂȘme comme le « Dieu de lâAlgĂ©rie ». (Keenan, 2010).
Tout aussi impitoyable, bien que « rusé » soit mieux appropriĂ©, fut son rĂŽle dans la supervision du remplacement de Mohamed Lamari en tant que Chef du Personnel de lâarmĂ©e. Le remplaçant du Lamari, le gĂ©nĂ©ral GaĂŻd Salah, fut choisi par le prĂ©sident Bouteflika en 2004, avec le soutien de MĂ©diĂšne comme chef du DRS et, depuis le renvoi de Mohamed Lamari, le gĂ©nĂ©ral le plus puissant dâAlgĂ©rie.
La nomination de GaĂŻd Salah en tant que chef dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e fut inattendue[xiii]. Il Ă©tait gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme Ă©tant le troisiĂšme ou quatriĂšme, voire plus bas, dans la hiĂ©rarchie militaire. Il a Ă©tĂ©, pour le dire franchement, sur-promotionnĂ©. Mais pourquoi ? Du cĂŽtĂ© de la prĂ©sidence, Bouteflika pourrait toujours compter sur la fidĂ©litĂ© dâun gĂ©nĂ©ral ayant reçu une promotion gĂ©nĂ©reuse. GaĂŻd Salah aurait aussi tendance Ă accepter la prĂ©sidence exĂ©cutive de Bouteflika, et lâabstention de lâarmĂ©e dans la politique algĂ©rienne. Pour MĂ©diĂšne, le choix de GaĂŻd Salah Ă©tait parfait. Il fut renvoyĂ© de lâarmĂ©e dans les annĂ©es 80 pour comportement sexuel inappropriĂ©, mais fut rĂ©intĂ©grĂ© grĂące Ă ses liens avec la famille de Chadli Bendjedid. Il Ă©tait aussi notoirement corrompu. Dans une conversation secrĂšte tenue au DĂ©partement dâĂtat en 2007, Robert Ford, ambassadeur des USA Ă Alger, dĂ©crit GaĂŻd Salah comme Ă©tant « le fonctionnaire le plus corrompu du corps militaire »[xiv]. Les penchants sexuels et la corruption Ă©taient justement des caractĂ©ristiques que MĂ©diĂšne recherchait, rendant GaĂŻd Salah vulnĂ©rable au chantage, et donc sous le contrĂŽle de MĂ©diĂšne. Ă partir de ce moment et jusquâen 2013, mĂȘme si le DRS nâĂ©tait quâune branche de lâarmĂ©e, MĂ©diĂšne en avait en rĂ©alitĂ© le contrĂŽle. [xv]
Ceci ne veut pas dire que le contrĂŽle de MĂ©diĂšne nâa pas Ă©tĂ© contestĂ©. Bien au contraire. Ă partir de 2009, les tensions sâaccentuaient entre MĂ©diĂšne et la prĂ©sidence Bouteflika[xvi]. Le rĂ©gime commençait progressivement se diviser en deux pĂŽles dĂ©tenant un pouvoir politique : dâun cĂŽtĂ© la prĂ©sidence Bouteflika et lâarmĂ©e sous le commandement de GaĂŻd Salah, et de lâautre cĂŽtĂ©, MĂ©diĂšne et son DRS, alliĂ© avec un nombre indĂ©terminĂ© de gĂ©nĂ©raux de lâarmĂ©e qui manifestaient avoir une plus grande fidĂ©litĂ© envers MĂ©diĂšne quâenvers GaĂŻd Salah. NĂ©anmoins, malgrĂ© ces tensions, MĂ©diĂšne â le « Dieu de lâAlgĂ©rie » âĂ©tait « lâhomme fort » incontestĂ© du pays, dans la mesure oĂč, pendant les annĂ©es 2004-2013, trĂšs peu de rĂ©fĂ©rences dans la littĂ©rature universitaire et trĂšs peu de mentions dans les mĂ©dias ont Ă©tĂ© recensĂ©es sur ce conclave. Bien sĂ»r, il est difficile de savoir qui dâautre que MediĂšne aurait pu initier le conclave Ă cette Ă©poque.
Cependant, en 2013, le contrĂŽle de MĂ©diĂšne sur lâAlgĂ©rie commençait Ă sâattĂ©nuer. Le dĂ©but de sa chute en Janvier 2013 fut effrayante. Elle fit suite Ă lâattaque terroriste survenue sur lâinstallation pĂ©troliĂšre de Tiguentourine, prĂšs dâIn Amenas. Lâattaque, suivie dâun siĂšge de quatre jours, sâacheva par la mort de 80 personnes.
Le point clĂ© de lâattaque dâIn Amenas (au moins pour la « thĂšse » de cet article) est que la version officielle des Ă©vĂšnements est toujours restĂ©e secrĂšte. Le mystĂšre est jusquâĂ aujourdâhui maintenu par les autoritĂ©s algĂ©riennes et ses alliĂ©s occidentaux. Nous pensons que cette attaque Ă©tait en rĂ©alitĂ© une opĂ©ration terroriste sous faux-drapeau organisĂ©e par le DRS, et quâelle a mal tournĂ©. Ce nâest quâĂ la fin de lâannĂ©e 2016 quâun rapport, intitulĂ© Rapport sur In Amenas, rendit public ce qui sâĂ©tait vĂ©ritablement passĂ©. (Keenan, 2016)
Le point important de cette attaque est quâelle fut organisĂ©e par le DRS, pour les raisons dĂ©taillĂ©es dans le rapport citĂ© plus haut. Les 32 « terroristes » furent recrutĂ©s par lâarmĂ©e et par le DRS. Pendant les quatre jours de siĂšge du site, trois terroristes prirent la fuite et furent arrĂȘtĂ©s par des unitĂ©s de lâarmĂ©e entourant lâinstallation. Lors des interrogations menĂ©es par lâarmĂ©e, ils expliquĂšrent quâils avaient Ă©tĂ© armĂ©s et entrainĂ©s par le gĂ©nĂ©ral Abdelkader AĂŻt Ouarabi (aussi connu sous le nom de gĂ©nĂ©ral Hassan), chef du Groupement dâIntervention SpĂ©cial (GIS) au DRS. GaĂŻd Salah, alors chef du personnel, devait donc savoir que son ennemi jurĂ© Ă©tait lâinstigateur de cette opĂ©ration. Ăvidemment, les autoritĂ©s algĂ©riennes ne pouvaient reconnaĂźtre publiquement cette situation, car elle aurait (entre autre) Ă©tĂ© lĂ©galement tenue d’indemniser les familles des 39 ressortissants Ă©trangers tuĂ©s.
En raison du besoin de secret du rĂ©gime, GaĂŻd Salah ne pouvait pas agir directement contre MĂ©diĂšne. De plus, si GaĂŻd Salah avait tentĂ© de le renvoyer Ă ce moment-lĂ , MĂ©diĂšne aurait pu essayer de monter un coup contre lui. Il a donc fallu prĂšs de trois ans, jusquâen dĂ©cembre 2015, pour que GaĂŻd Salah arrive Ă Ă©branler lâautoritĂ© de MĂ©diĂšne et Ă acquĂ©rir le soutien de la prĂ©sidence pour le congĂ©dier. Le DRS fut donc finalement dissout[xvii] (au moins son nom) en Janvier 2016, et la plupart de ses unitĂ©s et pouvoirs furent transfĂ©rĂ©s Ă lâarmĂ©e et le reste Ă la DSI, sous lâautoritĂ© de la prĂ©sidence. De ce fait, jusquâau dĂ©but de lâannĂ©e 2016, GaĂŻd Salah remplaça MĂ©diĂšne et devint le nouvel « homme fort ». Depuis lors, comme expliquĂ© ci-dessous, GaĂŻd Salah a continuĂ© Ă Ă©tendre et Ă consolider ses pouvoirs.
Pour le public et les mĂ©dias algĂ©riens, ignorant les machinations se cachant derriĂšre lâattaque dâIn Amenas, il devenait Ă©vident Ă partir du dĂ©but de lâannĂ©e 2014 que tout nâallait pas bien dans le camp de MĂ©diĂšne. Par exemple, le 3 FĂ©vrier 2014, Amar SaĂądani, nouveau chef du FLN nommĂ© par la prĂ©sidence, lança une attaque publique sans prĂ©cĂ©dent contre MediĂšne, l’accusant d’aller Ă l’encontre des directives du chef de l’Ătat, de ne pas respecter l’Ătat de droit, et suggĂ©ra donc quâil dĂ©missionne. Dans une interview pour le journal en ligne Tout sur lâAlgĂ©rie (TSA), SaĂądani dĂ©clara : « Je milite pour la sĂ©paration des pouvoirs. Pour un Ătat civil. Je dis par contre que si un mal mâarrive, ce sera lâĆuvre de Toufik. Le gĂ©nĂ©ral Toufik MĂ©diĂšne aurait dĂ» dĂ©missionnerâŠÂ » [xviii]Lahouari Addi (2015), par exemple, interprĂšte lâattaque de SaĂądani comme une preuve que « à lâĂ©vidence, un clan plus puissant que celui de ce dernier [celui de MĂ©diĂšne] avait mandatĂ© SaĂądani en lui assurant la protection. Ces dĂ©clarations du responsable de lâex-parti unique ont fait lâeffet dâune bombe dans un pays oĂč personne nâose citer le nom du chef de la police politique, et encore moins le critiquer »
Il Ă©tait clair pour tous de voir (mĂȘme si les raisons nâont pas encore Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es) que MĂ©diĂšne Ă©tait Ă©branlĂ© et politiquement affaibli. Il est intĂ©ressant de noter quâAddi Lahouari, autoritĂ© respectĂ©e sur lâEtat AlgĂ©rien, ignorant Ă lâĂ©poque les tenants et les aboutissants de lâattaque dâIn Amenas, essaya dâexpliquer les difficultĂ©s de MĂ©diĂšne dans le contexte des Ă©lections prĂ©sidentielles de 2014, disant quâil devait se plier Ă lâopinion majoritaire dans ce quâAddi appelle « le conclave des gĂ©nĂ©raux » (2015). La rĂ©alitĂ©, comme nous le savons Ă prĂ©sent, est quâil nây a pas eu de rĂ©union dâun conclave, mais que MĂ©diĂšne, dĂ©jĂ dans le viseur de GaĂŻd Salah, nâavait dâautre choix que dâobĂ©ir aux ordres de GaĂŻd Salah.
La situation autour des prĂ©sidentielles du 17 Avril 2014 avait Ă©tĂ© bousculĂ©e par lâhospitalisation de Bouteflika en France dâAvril 2013 jusquâen Juillet, aprĂšs avoir Ă©tĂ© victime dâun AVC important. Ă son retour en AlgĂ©rie, il Ă©tait Ă©vident quâil nâĂ©tait mĂ©dicalement plus apte Ă assurer son rĂŽle de prĂ©sident. Cependant, son clan, dont son plus jeune frĂšre SaĂŻd Bouteflika faisait parti, ainsi que dâautres proches : gĂ©nĂ©raux, ministres et oligarques dans le milieu des affaires, y ont vu lâopportunitĂ© de prendre le contrĂŽle de la prĂ©sidence Ă travers le rĂŽle de « contrĂŽleur dâaccĂšs » de SaĂŻd Bouteflika, et par consĂ©quent de pouvoir continuer leurs activitĂ©s de corruption, et maintenir leur accĂšs aux ressources du pays pour continuer leur enrichissements personnels. Il leur suffisait simplement de soutenir la candidature de Bouteflika pour un quatriĂšme mandat. MĂ©diĂšne, au courant de leurs intentions, tenta de dâopposer Ă eux. Mais, Ă ce moment-lĂ , MĂ©diĂšne avait vu tous ses pouvoirs transfĂ©rĂ©s Ă la prĂ©sidence Bouteflika et Ă GaĂŻd Salah.
GaĂŻd Salah continua de renforcer ses pouvoirs entre 2016 et 2017, en « mettant Ă la retraite » plusieurs gĂ©nĂ©raux suspectĂ©s dâĂȘtre loyaux Ă MĂ©diĂšne, et en transfĂ©rant une grande partie des anciens pouvoirs du DRS Ă son propre commandement de lâarmĂ©e. Une partie du service de renseignement, notamment la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et le contre-espionnage, furent transfĂ©rĂ©s Ă la prĂ©sidence, sous la commande du gĂ©nĂ©ral Athman Tartag, ancien bras-droit de MĂ©diĂšne et son remplaçant Ă la tĂȘte du DRS Ă partir de 2015. Cet arrangement donna lâillusion dâune rĂ©partition Ă©quilibrĂ©e du pouvoir entre la prĂ©sidence (en rĂ©alitĂ© dirigĂ©e par SaĂŻd Bouteflika) et le haut commandement de lâarmĂ©e de GaĂŻd Salah.
Cependant, les tensions politiques refirent surface et sâintensifiĂšrent jusquâen 2018. La question principale Ă©tait cette fois de savoir si le prĂ©sident infirme, Abdelaziz Bouteflika, qui ne s’Ă©tait mĂȘme pas adressĂ© en personne au peuple algĂ©rien depuis 2013, se prĂ©senterait pour un cinquiĂšme mandat Ă l’Ă©lection prĂ©sidentielle prĂ©vue au printemps 2019 (plus tard confirmĂ©e pour se tenir le 18 Avril 2019). En effet, au milieu des frĂ©quentes rumeurs de sa mort, on se demandait s’il allait mĂȘme rester en vie jusqu’au jour des Ă©lections. Cette tension se concentra progressivement autour dâune lutte entre le clan Bouteflika, dirigĂ© par SaĂŻd Bouteflika, et GaĂŻd Salah. Bien que GaĂŻd Salah soit restĂ© fidĂšle au prĂ©sident, il n’approuvait pas SaĂŻd Bouteflika, qu’il considĂ©rait comme ayant profitĂ© de sa relation avec le PrĂ©sident pour usurper la prĂ©sidence et favoriser la corruption des intĂ©rĂȘts du clan Bouteflika, que GaĂŻd Salah allait ensuite appelĂ© lâIssaba : gang criminel. Ils sont Ă prĂ©sent pour la plupart incarcĂ©rĂ©s, attendant leur procĂšs. MalgrĂ© ces nombreuses dizaines d’arrestations pour corruption prĂ©sumĂ©e, il ne faut pas prĂ©sumer que GaĂŻd Salah est innocent de ces crimes. En effet, il est parmi les plus corrompus des hauts responsables du rĂ©gime.
En 2018, Ă partir de la fin du moi de Mai, le conflit entre SaĂŻd Bouteflika et GaĂŻd Salah sâintensifiant, ce dernier entrepris une purge sans prĂ©cĂ©dent dans le personnel militaire, remplaçant littĂ©ralement une douzaine de hauts commandements avec des gĂ©nĂ©raux quâil savait loyaux Ă lui et non au clan Bouteflika.
Au dĂ©but de lâannĂ©e 2019, la question principale Ă©tait alors de savoir si le prĂ©sident Bouteflika allait se prĂ©senter pour une cinquiĂšme mandat, ou si le clan Bouteflika devrait trouver un remplacement adaptĂ© qui protĂšgerait leurs intĂ©rĂȘts. Pendant ce temps, une majoritĂ© des AlgĂ©riens sâopposait au cinquiĂšme mandat de Bouteflika. Par consĂ©quent, lorsque la prĂ©sidence annonça le 10 FĂ©vrier la candidature de Bouteflika pour une cinquiĂšme mandat, le peuple â le hirak â descendit dans la rue par millions le 22 FĂ©vrier, exprimant pacifiquement leur indignation.
Mars et Avril furent frĂ©nĂ©tiques. Les marches du hirak au dĂ©but du mois de Mars Ă©taient Ă©normes : le 8 Mars, entre 15 et 20 millions de personnes sont descendues dans la rue pour rĂ©clamer la fin du systĂšme. Le clan Bouteflika essaya de gagner du temps. Suivant la marche du 8 Mars, la prĂ©sidence proposa que Bouteflika ne se reprĂ©sente pas pour un cinquiĂšme mandat, mais reste en fonction pour superviser la rĂ©forme politique. Cette proposition Ă©tait inacceptable et rendit le hirak encore plus furieux.  GaĂŻd Salah, donnant lâimpression Ă ce moment lĂ de soutenir le hirak et prĂ©disant la fin du rĂ©gime, appela le 26 Mars pour lâapplication de lâArticle 102 de la Constitution, qui permet le remplacement du prĂ©sident pour cause de maladie ou autre incapacitĂ© de ce type.
GaĂŻd Salah ayant invoquĂ© l’Article 102, il Ă©tait clair pour SaĂŻd Bouteflika qu’il n’avait que quelques jours, voire quelques heures, pour trouver une solution transitoire qui permettrait de tenir Ă distance Ă la fois le hirak et GaĂŻd Salah. Le plan de SaĂŻd Bouteflika, concoctĂ© avec MĂ©diĂšne et possiblement Athman Tartag, consistait Ă laisser MĂ©diĂšne approcher lâancien prĂ©sident Liamine Zeroual, afin quâil dirige un gouvernement transitoire. MĂ©diĂšne soumit Ă Zeroual cette proposition le 30 Mars. Zeroual, cependant, donna lâalerte en rendant immĂ©diatement publique lâexistence et la nature de la rĂ©union. Il y avait aussi des preuves convaincantes que SaĂŻd Bouteflika planifiait de retirer GaĂŻd Salah de son poste avec un dĂ©cret prĂ©sidentiel falsifiĂ©. Cependant, GaĂŻd Salah, qui aurait mis les rĂ©unions sur Ă©coute, Ă©tait au courant des manigances de SaĂŻd Bouteflika.
GaĂŻd Salah avança rapidement. Le 2 Avril, il demanda lâapplication immĂ©diate de lâArticle 102. Bouteflika dĂ©missionna de la prĂ©sidence plus tard dans la journĂ©e. Le 4 Avril, Tartag fut dĂ©mis de ses fonctions de chef de la SĂ©curitĂ©, tandis que dâautres oligarques importants que GaĂŻd Salah appelait le « gang Bouteflika » Ă©taient arrĂȘtĂ©s pour corruption. Le 4 mai, GaĂŻd Salah fit arrĂȘter SaĂŻd Bouteflika, Mohamed ” Toufik ” MĂ©diĂšne et Athman Tartag. Le lendemain, ils furent accusĂ©s d’ « atteinte Ă l’autoritĂ© de l’armĂ©e » et de « complot contre l’autoritĂ© de l’Ătat » et furent incarcĂ©rĂ©s Ă la prison d’El Harrach, oĂč ils se trouvent encore aujourd’hui, attendant leur procĂšs.
GaĂŻd Salah Ă©tait alors le dirigeant incontestĂ© de lâAlgĂ©rie, avec Abdelkader Bensalah, le Chef de lâEtat par interim, qui ne servait en rĂ©alitĂ© que de tampon pour ses ordres, maintenant que presque la totalitĂ© du clan Bouteflika (le « gang ») est derriĂšre les barreaux. La lutte qui apparaĂźt dorĂ©navant est entre GaĂŻd Salah (le dirigeant dictatorial du pays) et la hirak. Cependant, une analyse aussi direct et facile passe outre la constante de la vie politique algĂ©rienne : la rivalitĂ© presque interminable et les luttes intestines entre les gĂ©nĂ©raux les plus influents du pays.
Luttes intestines[xix] entre les gĂ©nĂ©rauxÂ
La lutte la plus rĂ©cente entre les gĂ©nĂ©raux pourrait jouer un rĂŽle crucial dans lâavenir du pays. Les gĂ©nĂ©raux impliquĂ©s, en plus de GaĂŻd Salah, le chef du personnel de lâarmĂ©e, sont : Bouazza Ouassini, Ghali Belkecir, Othman (Athmane) Miloud (surnommĂ© « Caniche » Ă cause de son chien qui lâaccompagne toujours), Mohamed KaĂŻdi, Athman Tartag[xx], Cherif Zerrad, Abdelkader Lachkhem, SaĂŻd Chengriha et Nabil Benhamza. Les personnages clĂ©s nâappartenant pas Ă lâarmĂ©e sont Abdelmadjid Tebboune, candidat Ă la prĂ©sidentielle, et Mohamed Mokeddem (aussi connu sous le nom de Anis Rahmani), prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral du Groupe Ennahar, dĂ©tenteur de la chaĂźne Ennahar TV.
Le principal acteur parmi ceux qui semblent menacer GaĂŻd Salah est le gĂ©nĂ©ral Bouazza, nĂ© Ă Beni Snous dans la wilaya de Tlemcen. Tlemcen Ă©tant le fief des Bouteflika, Bouazza attira rapidement lâattention de SaĂŻd Bouteflika (attendant actuellement son procĂšs Ă la prison dâEl Harrach), qui lui assura sa promotion rapide. Mais, Ă un certain moment au cours du conflit entre GaĂŻd Salah et SaĂŻd Bouteflika en 2018, Ouassini bascula sa loyautĂ© envers GaĂŻd Salah, pour qui il travailla contre le clan Bouteflika. DâaprĂšs ceux qui le connaissait, sa vulgaritĂ©, sa duretĂ© et sa rĂ©putation violente aurait attirĂ© lâattention de GaĂŻd Salah. Ouassini aurait gagnĂ© cette rĂ©putation aprĂšs avoir tenus certains propos, notamment disant quâun exercice militaire ne rĂ©sultant pas en la mort de quelques soldats nâĂ©tait pas un bon exercice.
Bouazza Ouassini fut placĂ© au poste extrĂȘmement important (pour des raisons que nous allons expliquer) de directeur central des infrastructures militaires auprĂšs du MinistĂšre de la DĂ©fense Nationale (MDN), le 17 Janvier 2019. Le 21 Avril, GaĂŻd Salah le nomme chef de la Direction de la SĂ©curitĂ© IntĂ©rieure (DSI) et chef du contre-espionnage, remplaçant le gĂ©nĂ©ral Abdelkader. La nomination de Ouassini Ă cette position influente arrive aprĂšs la nomination par GaĂŻd Salah du gĂ©nĂ©ral Mohamed KaĂŻdi le 4 Avril pour remplacer le gĂ©nĂ©ral dĂ©chu Athman Tartag. Cette position laissait KaĂŻdi coordonner tous les services secrets, le rendant (thĂ©oriquement), le supĂ©rieur direct de Ouassini.
En Avril-Mai 2019, les lieutenants les plus puissants de GaĂŻd Salah Ă©taient le gĂ©nĂ©ral Ghali Belkecir, qui avait remplacĂ© le gĂ©nĂ©ral Menad Nouba Ă la tĂȘte de la Gendarmerie Nationale en Octobre 2018, et le gĂ©nĂ©ral Mohamed KaĂŻdi.
Lors de son ascension fulgurante au pouvoir, Ouassini Ă©tait pratiquement inconnu du grand public, mĂȘme si quelques observateurs habituĂ©s de lâAlgĂ©rie ont bien remarquĂ© les changements peu habituels que GaĂŻd Salah avait effectuĂ© sur sa garde rapprochĂ©e pendant lâĂ©tĂ©, et que câĂ©tait Ă prĂ©sent la Direction GĂ©nĂ©rale de la SĂ©curitĂ© ExtĂ©rieure (DGSI, autre nom de la DSI), dirigĂ©e par Ouassini et non la Gendarmerie, qui sâoccupait de la sĂ©curitĂ© des diffĂ©rents domiciles de GaĂŻd Salah et de sa famille. Ceci Ă©tait la preuve que Ouassini a rĂ©ussi, dans un temps trĂšs court, Ă gagner la confiance de GaĂŻd Salah.
Jusqu’Ă la fin de lâĂ©tĂ©, voire avant, un clan puissant et dangereux Ă©mergea au sein des services secrets, Ă©voluant autour des gĂ©nĂ©raux Ghali Belkecir, Othman Miloud (« Caniche ») et Bouazza Ouassini. Othman Miloud remplaça Lakhdar TirĂšche Ă la tĂȘte de la Direction Centrale de la SĂ©curitĂ© de lâArmĂ©e (DCSA) en Aout 2018, mais fut licenciĂ© en Novembre, moins de trois mois plus tard. Selon certaines sources, Belkecir et Ouassini ont rĂ©ussi Ă convaincre Othman Miloud que son retrait de la tĂȘte de la DCSA nâĂ©tait que temporaire. Mais ce nâĂ©tait pas le cas, car GaĂŻd Salah dĂ©couvrit quâOthman Miloud avait auparavant espionnĂ© ses enfants, notamment Adel GaĂŻd Salah, et informa SaĂŻd Bouteflika de ses illĂ©galitĂ©s et racket commerciaux, surtout dans la rĂ©gion dâAnnaba.
Les trois hommes (Ouassini, Belkecir et Othman Miloud), malgrĂ© la mise Ă lâĂ©cart de Miloud, ont utilisĂ© le chantage, la dĂ©sinformation et tous les autres sales coups qui ont longtemps Ă©tĂ© le mĂ©tier du DRS algĂ©rien, pour affaiblir, miner ou Ă©liminer ceux qui se tenaient entre eux et le pouvoir absolu.
Cependant, ce trio n’a pas tardĂ© Ă se rĂ©duire Ă un seul homme: Bouazza Ouassini. Depuis qu’il a repris la DSI, Ouassini a pu mettre en pratique ses plans machiavĂ©liques. Il planifia soigneusement la chute de tous ceux qui l’entouraient, y compris Belkecir, le “Caniche”, son supĂ©rieur immĂ©diat KaĂŻdi, et tous ceux qui pourraient l’empĂȘcher de devenir le nouvel homme fort de l’AlgĂ©rie, dont la rumeur disait quâil voulait remplacer ou Ă©liminer GaĂŻd Salah.
Pendant l’Ă©tĂ©, Ouassini mis Ă l’Ă©cart Mohamed KaĂŻdi en discrĂ©ditant ses plans d’affaiblissement et de destruction du hirak au cours de l’Ă©tĂ©. KaĂŻdi a notamment utilisĂ© le « zouavisme »[xxi] contre les militants du hirak et a tentĂ© de dresser les Arabes contre les Kabyles, l’Est contre l’Ouest, les salafistes proches de l’Arabie saoudite contre ceux proches des Ătats-Unis, etc. GrĂące Ă l’affaiblissement de son patron par Ouassini et Ă la force du hirak, les plans de KaĂŻdi n’ont pas atteint leur but, laissant sa rĂ©putation en lambeaux.
Ouassini s’est ensuite attelĂ© Ă la tĂąche de la chute d’Othman Miloud et de Belkecir. La chute d’Othman Miloud a Ă©tĂ© simple car GaĂŻd Salah ne lui faisait plus confiance aprĂšs avoir dĂ©couvert qu’il avait espionnĂ© ses enfants et son clan. La maniĂšre dont Ouassini a rĂ©ussi Ă Ă©carter Belkecir et Ă obtenir sa rĂ©vocation Ă la tĂȘte de la gendarmerie le 24 Juillet 2019 et son remplacement par le gĂ©nĂ©ral Abderrahmane Arrar n’est pas encore connu.
Pendant ce temps, Ouassini jouait un rĂŽle majeur pour influencer les changements Ă la tĂȘte de la DCSA. Encore une fois, on ne sait pas exactement ce qui s’est passĂ© au sommet du DCSA aprĂšs le licenciement d’Othman Miloud en novembre 2018. Sauf qu’au dĂ©but de lâannĂ©e 2019, il Ă©tait sous le commandement du colonel Boubakeur Nabil (alias Bob), qui dĂ©tenait des informations prĂ©judiciables sur Belkecir (probablement de nature financiĂšre). Ouassini aurait alors aidĂ© Belkecir Ă licencier “Bob” le 26 Mai 2019. « Bob » fut remplacĂ© par le colonel Abdelouahab, lui-mĂȘme remplacĂ© en octobre par le peu connu Nabil Benhamza, une autre Ă©toile montante supposĂ©e de GaĂŻd Salah, qui Ă©tait Ă la tĂȘte de la police judiciaire depuis juillet.
Ce rĂ©cit, du moins jusqu’Ă prĂ©sent, ne traite que des rivaux de Ouassini au sein de la section du renseignement de l’armĂ©e. Il y avait et il y a toujours d’autres gĂ©nĂ©raux puissants, proches de GaĂŻd Salah, qui se tiennent entre Ouassini et les ambitions qu’il peut avoir de prendre la relĂšve ou de remplacer GaĂŻd Salah. Trois de ces gĂ©nĂ©raux sont : le gĂ©nĂ©ral-major Cherif Zerrad, chef du DĂ©partement Emploi-PrĂ©paration, le gĂ©nĂ©ral-major Abdelkader Lachkhem, chef du DĂ©partement des Transmissions, SystĂšmes d’Information et Guerre Electronique, et la gĂ©nĂ©ral-major SaĂŻd Chengriha, commandant depuis Septembre 2018 des forces terrestres algĂ©riennes.
Zerrad Ă©tait probablement le troisiĂšme ou quatriĂšme gĂ©nĂ©ral le puis puissant de la hiĂ©rarchie militaire. Il Ă©tait responsable de la liaison avec lâOTAN et de la coordination gĂ©nĂ©rale de lâarmĂ©e. Ouassini, grĂące Ă son rĂŽle de chef de la DSI, parvint Ă persuader GaĂŻd Salah que Zerrad prĂ©parait un coup dâĂ©tat contre lui. Zerrad fut mis en examen et retirĂ© de son poste par dĂ©cret prĂ©sidentiel le 13 Octobre. Cette information fut rendue publique lors de sa publication dans le Journal Officiel le 1er Novembre.
Ouassini doit maintenant livrer une bataille au sommet du commandement de l’armĂ©e contre les gĂ©nĂ©raux Lachkhem et Chengriha, tous deux trĂšs puissants et trĂšs proches de GaĂŻd Salah. Il reste Ă voir sâil manigancera contre l’un ou l’autre ou les deux hommes, ou s’il sera Ă©liminĂ© en premier par GaĂŻd Salah.
Ce rĂ©cit extraordinaire pose la question de savoir comment un gĂ©nĂ©ral peu connu, Bouazza Ouassini, a rĂ©ussi Ă exercer autant d’influence dans ce qui semble avoir Ă©tĂ© une montĂ©e en puissance fulgurante au sein de l’armĂ©e. La rĂ©ponse Ă cette question passe par la comprĂ©hension de la nature de sa base de pouvoir, qui est enracinĂ©e dans son prĂ©cĂ©dent poste de directeur des Infrastructures Militaires, puis dans son contrĂŽle du “renseignement” en tant que chef de la DSI. Au sein de cette base de pouvoir, deux relations ont Ă©tĂ© cruciales dans son ascension pour devenir l’homme le plus puissant de l’armĂ©e aprĂšs GaĂŻd Salah. La premiĂšre a Ă©tĂ© sa relation avec les Chinois. La seconde, qui a une influence majeure sur les Ă©lections actuelles, est sa relation avec Mohamed Mokeddem (alias Anis Rahmani), un journaliste indĂ©pendant gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© depuis une ou deux dĂ©cennies comme le “chef de file” du firmament algĂ©rien.
La base du pouvoir de Bouazza OuassiniÂ
Comme la plupart des gĂ©nĂ©raux algĂ©riens les plus puissants, les deux plus grands intĂ©rĂȘts dâOuassini sont lâargent et le pouvoir. MĂȘme sâil ne resta Ă son poste de Directeur Central de lâInfrastructure Militaire au ministĂšre de la DĂ©fense Nationale que pour trois mois, il eut le temps de prĂ©parer ses arriĂšres. LâInfrastructure Militaire – construction et entretien des casernes, des centres de formation, dâhĂŽpitaux militaires et autres – dispose d’un budget Ă©norme, “secret” (du public) et probablement plus exposĂ© Ă la corruption que tout autre budget de l’Ătat. Ouassini ne se contentait pas de lancer les appels d’offres et d’attribuer les contrats, mais il signait aussi les chĂšques. Beaucoup de ces contrats et une grande partie de l’argent Ă©taient allouĂ©s par Ouassini Ă des intĂ©rĂȘts chinois, ce qui lui permettait de rivaliser avec GaĂŻd Salah en tant que gĂ©nĂ©ral le plus corrompu d’AlgĂ©rie.
La rumeur raconte que les relations et l’engagement de Ouassini avec les Chinois aient Ă©tĂ© “Ă©normes”. En bref, non seulement Ouassini apportait beaucoup d’argent chinois dans l’armĂ©e, ce qui plaisait beaucoup Ă GaĂŻd Salah, mais on pense Ă©galement que la Chine, grĂące Ă cette relation, consentirait Ă prĂȘter de l’argent Ă l’Ătat algĂ©rien pour l’aider Ă sortir de sa crise financiĂšre et Ă©conomique actuelle. [xxii]
Lorsque Ouassini fut promu en avril 2019 pour prendre le contrĂŽle de la DSI et des services de contre-espionnage, il utilisa le pouvoir qui allait de pair avec cette position pour non seulement maintenir les accords avec les Chinois, mais aussi utiliser les fichiers secrets de la DSI afin dâeffrayer et miner presque toute personne dans la hiĂ©rarchie militaire ou politique, comme les gĂ©nĂ©raux Zerrad et Belkecir, que Ouassini voulait Ă©carter et mettre en examen. On peut Ă©tablir des parallĂšles entre les mĂ©thodes de travail et la montĂ©e en puissance de Ouassini et celle de l’ancien patron du DRS (aujourd’hui emprisonnĂ©), Mohamed “Toufik” MĂ©diĂšne.
Mohamed Mokeddem (alias Anis Rahmani) colporte depuis prĂšs de 20 ans des histoires calomnieuses, invariablement fausses, prend part Ă des assassinats et utilise la dĂ©sinformation. Il a travaillĂ© Ă©troitement pour MĂ©diĂšne jusqu’Ă la chute de ce dernier, avant dâoffrir ses services Ă SaĂŻd Bouteflika et maintenant, depuis l’Ă©viction de ce dernier au dĂ©but de l’annĂ©e, Ă Ouassini. Il y a maintenant des preuves que Rahmani travaille pour Ouassini. Cela est apparu Ă©vident lorsqu’un opposant au rĂ©gime, connaissant l’histoire machiavĂ©lique dâOuassini publia une photo de lui sur Facebook, afin que les AlgĂ©riens puissent voir Ă qui ils ont affaire dans les services de renseignement. Presque immĂ©diatement, un certain nombre de fausses photos de Ouassini furent publiĂ©es en ligne pour tenter de semer la confusion sur sa vraie identitĂ©. Ces fausses photos ont Ă©tĂ© retracĂ©es jusqu’Ă Rahmani.
Comment Ouassini peut affecter les élections présidentielles
Abdelmadjid Tebboune Ă©tait presque certainement le candidat favori du rĂ©gime et de GaĂŻd Salah pour la prĂ©sidence, et donc le favori probable de la campagne Ă©lectorale du 12 dĂ©cembre. Cependant, Ouassini ne veut pas de Tebboune comme prĂ©sident: il est trĂšs puissant et a un vaste rĂ©seau au sein du rĂ©gime, notamment avec GaĂŻd Salah qui est un ami personnel. C’est pourquoi Ouassini s’en prend Ă Tebboune. Rahmani s’est plaint de Tebboune sur Ennahar et rĂ©digea des articles sur lui, disant qu’il Ă©tait proche du clan Bouteflika â lâIssaba (“gang”) – et impliquĂ© dans leur trafic de drogue et leur corruption. Il a Ă©galement dĂ©clarĂ© que le principal financier des Ă©lections de Tebboune est un “voleur”, qui a ensuite Ă©tĂ© emprisonnĂ©. Suite Ă ces allĂ©gations, plusieurs membres du personnel de campagne de Tebboune ont dĂ©missionnĂ©, comme, par exemple, Ă Blida. Les chances de Tebboune de “gagner” l’Ă©lection Ă©tant gravement compromises,  l’armĂ©e pourrait maintenant favoriser Abdelaziz BelaĂŻd ou Azzedine Mihoubi.
Bouazza Ouassini va-t-il devenir le prochain « homme fort » de lâAlgĂ©rie ?
Les chances de Bouazza Ouassini d’Ă©vincer GaĂŻd Salah et de devenir le prochain homme fort de l’AlgĂ©rie dĂ©pendent de l’Ă©lection. Si l’Ă©lection est perçue comme un “Ă©chec” par le haut commandement de l’armĂ©e, les autres gĂ©nĂ©raux et le rĂ©gime dans son ensemble, la position de GaĂŻd Salah sera menacĂ©e. Un “Ă©chec” serait considĂ©rĂ© comme une annulation de derniĂšre minute de l’Ă©lection, ce qui est possible mais peu probable, ou une participation Ă©lectorale extrĂȘmement faible et une augmentation des manifestations contre le rĂ©gime, deux phĂ©nomĂšnes qui semblent trĂšs probables.
Un tel “Ă©chec” laisserait GaĂŻd Salah dans une position vulnĂ©rable, permettant Ă des rivaux tels que Ouassini de s’opposer Ă lui. Cependant, il est plus probable, dans l’Ă©ventualitĂ© d’un tel Ă©chec, que les mesures d’Ă©viction de GaĂŻd Salah viendront de gĂ©nĂ©raux algĂ©riens moins connus en dehors du haut commandement de l’armĂ©e, dont certains, semble-t-il, ont Ă©tĂ© en communication avec des membres de l'”opposition dĂ©mocratique”. Si une sorte de putsch est montĂ© de l’intĂ©rieur de ce cercle extĂ©rieur de gĂ©nĂ©raux et d’officiers supĂ©rieurs, Bouazza Ouassini risque fort de se retrouver Ă©vincĂ© avec GaĂŻd Salah.
ANNEXE
GĂ©nĂ©ral-major Khaled Nezzar (1937 – ) : ancien chef dâetat-major de lâArmĂ©e Nationale Populaire (1988-1990) et ancien ministre de la DĂ©fense Nationale (1990-1993). Il est le principal architecte du coup d’Ătat militaire de 1992 et l’un des cinq membres du Haut ComitĂ© d’Ătat (HCE) (1992-1994). Actuellement en attente de son procĂšs en Suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanitĂ©, Nezzar est restĂ© une figure puissante en coulisse pendant le reste des annĂ©es 1990. En 2019, il s’opposa au nouvel “homme fort” militaire algĂ©rien, le gĂ©nĂ©ral Ahmed GaĂŻd Salah. Il fuit le pays et fut condamnĂ© par contumace par un tribunal militaire Ă Blida Ă 20 ans de prison. Il se trouverait actuellement en France.
Lieutenant GĂ©nĂ©ral Mohamed Lamari (1939-2012) : gĂ©nĂ©ral important lors du coup dâEtat de 1992, il fut promu chef dâĂ©tat-major de lâArmĂ©e Nationale Populaire en 1993, poste quâil garda jusqu’Ă sa dĂ©mission en 2004 pour raisons de santĂ©. En rĂ©alitĂ©, son renvoi fut conçu par le chef du DRS, le gĂ©nĂ©ral MĂ©diĂšne, qui, en lâabsence de Lamari, deviendra lâ « homme fort » de lâAlgĂ©rie.
Larbi Belkheir (1938-2010) : gĂ©nĂ©ral de l’ANP. Le journal français Le Figaro considĂšre Belkheir comme “le parrain du rĂ©gime algĂ©rien depuis les annĂ©es 1980”. D’autres sources l’ont surnommĂ© “le cardinal”. Il a longtemps Ă©tĂ© chef de cabinet des prĂ©sidents Chadli Bendjedid et Bouteflika et Ă©galement ministre de l’intĂ©rieur au moment du coup d’Ătat militaire de 1992. Il aurait donnĂ© le feu vert au complot d’assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992. Il fut Ă©cartĂ© de ses fonctions en 2005 sous la pression de Bouteflika et du chef du DRS, Mohamed “Toufik” MĂ©diĂšne, et envoyĂ© au Maroc en tant que ministre d’Ătat et ambassadeur. Jusqu’Ă cette date, il Ă©tait considĂ©rĂ© par beaucoup comme le membre le plus influent du “conclave”.
Lieutenant GĂ©nĂ©ral Mohamed MediĂšne (1939 -) : Ă©galement connu sous le nom de “Toufik”, il dirigea les services secrets algĂ©riens, le DĂ©partement du Renseignement et de la SĂ©curitĂ©, de 1990 Ă 2015. Il a Ă©tĂ© dĂ©crit comme le plus ancien “chef des services de renseignement” au monde. (Keenan, 2010). Il s’est Ă©galement dĂ©crit comme “le Dieu de l’AlgĂ©rie”. NĂ© en 1939 dans une famille kabyle de Guenzet dans la wilaya de SĂ©tif, il grandi prĂšs d’Alger. Pendant une grande partie de son “rĂšgne”, il fut l’homme le plus puissant d’AlgĂ©rie. Clairement “pro-amĂ©ricain”, MĂ©diĂšne a jouĂ© un rĂŽle clĂ© dans la guerre mondiale contre le terrorisme, Ă©tant responsable de l’infiltration par le DRS de tous les groupes islamistes et “terroristes” de la rĂ©gion, ainsi que de l’organisation de nombreuses opĂ©rations terroristes sous faux drapeau pour le compte des Ătats-Unis et d’autres alliĂ©s occidentaux. Sa chute en 2015 a Ă©tĂ© provoquĂ©e par une opĂ©ration terroriste de ce type en 2013, Ă In Amenas, qui fut Ă©chec dĂ©sastreux. Il est actuellement en prison dans l’attente de son procĂšs.
Lieutenant GĂ©nĂ©ral Ahmed GaĂŻd Salah (1940(?) -): chef d’Ă©tat-major de l’ANP et son plus haut commandant. D’aprĂšs son dossier officiel, il serait nĂ© en 1940 Ă Batna, mais beaucoup pensent qu’il a quatre ou cinq ans de plus. Il rejoint l’armĂ©e en 1958, mais aurait Ă©tĂ© renvoyĂ© dans les annĂ©es 1980 pour comportement sexuel inappropriĂ©, pour ĂȘtre ensuite rĂ©intĂ©grĂ© en raison de son amitiĂ© avec un proche du prĂ©sident Chadli Bendjedid. Il fut promu au rang de gĂ©nĂ©ral en 1993, de chef d’Ă©tat-major en 2004 et de ministre adjoint de la DĂ©fense en 2013. L’ambassadeur amĂ©ricain Robert Ford, l’a dĂ©crit comme “peut-ĂȘtre le fonctionnaire le plus corrompu de l’appareil militaire”. Il est actuellement “l’homme fort” de l’AlgĂ©rie et son dictateur efficace. Il est connu par le peuple comme le “traĂźtre” Salah.
FIN DE LâAPPENDICE
Bibliographie
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Werenfels, Isabelle (2007). Managing Instability in Algeria: Elites and political change since 1995. Routledge 2007.
[i] Jeremy Keenan est professeur invitĂ© Ă la facultĂ© de droit de l’universitĂ© Queen Mary University of London Ă Londres.
[ii] Le 18 Avril et 4 Juillet
[iii] Les mĂ©dias locaux ont estimĂ©s que les plus grandes manifestations du hirak comptaient jusquâĂ 15 millions de personnes Ă travers le pays. Avec une population de 43 millions, cela signifierait que la majoritĂ© des algĂ©riens, sans compter les personnes ĂągĂ©es, malades et trĂšs jeunes, sont opposĂ©s au pouvoir
[iv] Hirak, en arabe, correspond Ă un grand mouvement populaire de contestation
[v] En Janvier 1992, lâarmĂ©e annula les rĂ©sultats des premiĂšres Ă©lections dĂ©mocratiques du pays, alors quâelles venaient dâĂ©lire le premier gouvernement Islamique au monde Ă©lu dĂ©mocratiquement. Cela rĂ©sulta en une guerre civile sanglante (« la dĂ©cennie noire ») pendant laquelle 200 000 personnes auraient perdu la vie. Ces victimes furent massacrĂ©es par lâarmĂ©e et les services de sĂ©curitĂ© (le DRS), qui non seulement encourageait des groupes islamistes Ă tuer des civils innocents, mais commettait lui-mĂȘme des meurtres. Plusieurs des gĂ©nĂ©raux citĂ©s dans cet articles prirent part Ă ces crimes de guerre et crimes contre lâhumanitĂ©.
[vi] Abdelaziz Bouteflika fut propulsĂ© au pouvoir par lâarmĂ©e lors dâune Ă©lection truquĂ©e en 1999. En 2013, il fut victime dâun AVC et ne pouvait plus assurer son rĂŽle de prĂ©sident. Il resta cependant Ă son poste de prĂ©sident, bien quâen incapacitĂ© totale, jusqu’Ă ce quâil soit forcĂ© de dĂ©missionner suite aux manifestations du hirak, le 2 avril 2019.
[vii] Algeria Politics 1 Security, Menas Associated, Londres. 17 Avril 2017.
[viii] Ibid. 18 Mars 2019.
[ix] Lâhistoire du mouvement dâindĂ©pendance de Hassan Harbi nâĂ©tait pas apprĂ©ciĂ©e du FLN, qui reçut des menaces de mort de la police secrĂšte algĂ©rienne, des militants islamiques algĂ©riens et dâultra-nationalistes français. Il fut forcĂ© de sâexiler en France, oĂč il publia son Histoire du FLN en 1975.
[x] Khaled Nezzar est toujours en attente du verdict de son procĂšs en Suisse. Les autres gĂ©nĂ©raux, comme MĂ©diĂšne, risque dâĂȘtre arrĂȘter sâils voyagent Ă lâĂ©tranger. Belkheir par exemple ; choisi de se faire hospitaliser Ă Alger au lieu de la France avant sa mort en 2010, de peur de se faire arrĂȘter.
[xi] MĂ©diĂšne arriva Ă convaincre Bouteflika que Lamari soutenait Benflis, ancien rival de Bouteflika lors de lâĂ©lection de 2004.
[xii] MĂ©diĂšne avait Ă©tablit un cabinet, connu pour se rĂ©unir chaque semaine, dans lequel chaque ministre dâEtat, portfolio ou dossier dâimportance Ă©tait supervisĂ© par un gĂ©nĂ©ral du DRS. Les hauts fonctionnaires du DRS, majoritairement des colonels, Ă©taient placĂ©s dans chaque ministĂšre, institution ou entreprise publique afin de surveiller â voire dâintervenir â dans leurs activitĂ©s.
[xiii] En plus de son poste de chef du personnel de lâarmĂ©e, GaĂŻd Salah fut aussi promu ministre de la DĂ©fense en Septembre 2013.
[xiv] Wikileaks Cable ID : 135031. Date 2007-12-19, 12 :06 :00. Source : [US] Embassy Algiers (Ambassador Robert Ford).
[xv] MédiÚne exerçait son contÎle principalement avec la DCSA, branche clé du DRS.
[xvi] Il y avait plusieurs raisons pour ces tensions. La premiĂšre est que MĂ©diĂšne croyait que SaĂŻd Bouteflika voulait utiliser son frĂšre, le prĂ©sident, pour le retirer de son poste de chef du DRS. La deuxiĂšme est que les enquĂȘtes du DRS sur plusieurs scandales de corruption, surtout impliquant la Sonatrach (la compagnie nationale pĂ©troliĂšre) et dâautres associĂ©s proches du prĂ©sident, notamment le ministre de lâEnergie et des Mines Chakib Khelil
[xvii] Le DRS fut renommĂ© la Direction des Services de SĂ©curitĂ© (DSS). Cependant, il est souvent appelĂ© le DĂ©partement de Sureveillance et de SĂ©curitĂ© (DSS) ou bien mĂȘme la Coordination des Services de SĂ©curitĂ© (CSS). Mais, indĂ©pendamment des nouveaux noms, le service est toujours connu des algĂ©riens et des mĂ©dias par le DRS.
[xviii] Voir : Tout sur lâAlgĂ©rie (TSA) « Amar SaĂądani dĂ©gaine une violente charge contre le gĂ©nĂ©ral Toufik », 3 fĂ©vrier 2014 ; TSA Exclusif : Amar SaĂądani : âToufik aurait dĂ» dĂ©missionnerâŠâ, 3 fĂ©vrier 2014 ; âAlgeria Party Head Slams Powerful Spy Chief.â New York Times, 3 fĂ©vrier 2014 ; âHead of Algeria ruling party attacks powerful intel chiefâ AFP. 3 fĂ©vrier 2014
[xix] Ce terme est souvent utilisĂ© par les algĂ©riens pour expliquer les manĆuvres politiques des gĂ©nĂ©raux et le fonctionnement de lâEtat.
[xx] JusquâĂ son emprisonnement le 5 mai 2019
[xxi] Le concept de « zouavisme » vient du mot français « zouave » qui Ă©tait communĂ©ment utilisĂ© pendant la pĂ©riode coloniale pour parler dâune « unitĂ© militaire française composĂ©e dâautochtones musulmans algĂ©riens ». Accuser quelquâun dâĂȘtre un « zouave » est dĂ©rangeant ayant une connotation dâĂȘtre antipatriotique, voire ĂȘtre un « traĂźtre ». Ce terme est courrament employĂ© par le pouvoir et ses soutiens pour semer le mensonge sur les identitĂ©s et activitĂ©s des gens, en hackant des comptes facebook ou en en crĂ©ant de nouveaux, afin dâĂ©loigner les individus et communautĂ©s soutenant le hirak.
[xxii] il y a des spĂ©culations selon lesquelles cette relation pourrait avoir quelque chose Ă voir avec la nomination soudaine de Aymen Ben Abderrahmane en tant que gouverneur de la Banque  dâAlgĂ©rie en novembre.